Lecture en prison

Des nouvelles de Lorraine

Lecture en prison

29 septembre 2023 Non classé 1

de Michel TURK

« Il est des retours sur les fautes qui valent mieux que de n’en avoir point commis » Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions.

Maison d’arrêt de Bonneville, mercredi 20 septembre 2023. On n’y entre pas comme dans un moulin mais la fouille est moins stricte que celle pratiquée dans les aéroports, encore que ! Ma mallette avec mes bouquins passe au scanner. Une éducatrice m’accompagne. Au programme, deux séances de lecture partagée avec huit détenus à chaque fois. Qui se cache derrière cette photo qui ne dévoile aucun visage ? Des gens placés en détention provisoire, des gens condamnés à des peines pas très longues qui peuvent être exécutées en maison d’arrêt. Et dire que pendant des années, j’étais un pourvoyeur de cette prison et même de quelques autres. Ce que j’ai retenu, ce sont quelques bases criminologiques qu’il faut toujours garder à l’esprit. On devient criminel, délinquant ou même contrevenant par le passage à l’acte. C’est presqu’une Lapalissade que de le dire. Mais c’est toujours le franchissement de la ligne qui constitue l’acte, sauf que le curseur moral n’est pas le même chez tout le monde. Ce que j’ai retenu encore, c’est que la misère humaine, le désœuvrement, la déréliction, le paupérisme sont autant de facteurs qui favorisent le passage à l’acte, et même s’ils n’excusent pas tout, ils sont des réalités. Des réalités accrochées aux tours des cités, des réalités indélébiles.

Alors on va lire : des passages de mes polars relatant la vie pénitentiaire et quelques autres textes un peu plus drôles. Un détenu noir me relaye dans le premier groupe. Lecture difficile, monocorde que je n’interromps pas même si je sens une certaine lassitude gagner les autres. Il finit par se faire chambrer quand même et là je reprends. Une précision : j’ai donné pour consigne de m’interrompre chaque fois qu’un mot n’était pas compris et ça a marché. Parmi la population pénale, il faut le dire, on trouve plus d’analphabètes que de lettrés sortant de normale sup et beaucoup de détenus ont mal vécu leur scolarité.

Dans le deuxième groupe, j’ai été relayé dans la lecture par un gars qui lisait très bien, donnait même des intonations théâtrales et y associait le geste à la parole. Un vrai acteur de théâtre, me disant au passage qu’il en faisait quand il était dehors. Et dans ce groupe, il y en avait un, pas tout jeune, qui m’avait connu alors que j’étais encore en fonction. Aux autres qui lui avaient demandé comment j’étais alors, il a répondu : vous étiez un juge humain. Y en aurait-il qui ne le soient pas ?

Ma passion ornitho me fera sans doute retourner derrière ces hauts murs pour parler oiseaux, rendez-vous a été pris avec l’éducatrice. Il y aura d’autres personnes, un autre public mais toujours un public de détenus.

Une réponse

  1. Manette dit :

    Impressionnant. J’ai du mal à imaginer. Beau travail en tous les cas

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