Boulet Rouge par Michel Turk

Vraiment ça me fait de la peine.
On fête un peu partout le quatre-vingtième anniversaire de la fin de la guerre de 45. Nous redevenions Français. Et c’est aujourd’hui, aujourd’hui seulement que je m’aperçois que cette guerre nous l’avons perdue. Nous avons bel et bien été colonisés. Certes, mon pamphlet trimestriel n’y suffira pas à expliquer mon constat, mais comme cette défaite me semble irréversible, je veux quand même vous dire ce qui m’a poussé à affirmer mon propos et pourquoi ça me fait tant mal. Je me suis promené ce matin sur les berges de la rivière Arve en espérant tomber sur quelqu’oiseau assez complaisant pour se laisser tirer le portrait et voilà que je tombe sur un chantier de fouilles de déchets qui pourraient polluer l’eau. C’est plutôt à mettre à l’actif de ceux qui veulent assainir notre planète sauf à savoir ce qu’ils vont faire de ces déchets. Le chantier est clos et il est géré par une société qui s’appelle la Forézienne et c’est là que les Athéniens s’atteignirent, que je tombe sur ce qui va être la source de mon ire et de ma désolation.
Voici : « Safety zone ». Vous avez bien lu et mon correcteur orthographique le souligne, il y a une faute. Ben non, on a tout simplement perdu la guerre, il a fallu quatre-vingts ans pour que notre langue disparaisse inéluctablement pour être remplacée par la seule dont l’universalité permettrait de meilleures communications entre les hommes : foutaise, colonialisme, voilà. Oh, ne croyez pas que le cas est unique. Les hôtels sont open ou closed, et de dresser l’inventaire des anglicismes que des crétins utilisent pour faire plus « fun » finirait par être seulement lassant. Le dernier en date, très en vogue dans le milieu des bobos intellectuels, c’est pitcher. Quand t’as dit ça, y a plus rien à ajouter, c’est clair comme paradigme, n’est-ce pas ?
Mais n’avons-nous pas été complice ? N’avons-nous pas déroulé le tapis à l’envahisseur ?
Vraiment, ça me fait de la peine.